21/08/2017

Barcelone : "Ils sont passés à l’islam en même temps qu’ils sont passés à la violence"

Olivier Roy expert en Islamisme ??? nous explique Barcelone août 2017.....

L’identité des terroristes (abattus à Cambrils ou en fuite) est désormais connue. Les frères Oukabir, notamment, semblent avoir eu un rôle central. Le plus jeune, âgé de seulement 17 ans, a été abattu par la police jeudi avec d’autres assaillants. Le second, de dix ans son aîné, est actuellement interrogé par les forces de l’ordre espagnoles. Dans leur ville de Ripoll, on tombe des nues : jamais les frères n’avaient apparemment manifesté la moindre velléité de faire le djihad.


Attentats de Barcelone et Cambrils : ce que l'on sait de la cellule terroriste

 Une nouvelle qui ne surprend pas vraiment Olivier Roy, politologue spécialiste de l’islam, notamment connu pour défendre la thèse d’une "islamisation de la radicalité" qu’il voit à l’œuvre dans les attentats récents. "L’Obs" s’est entretenu avec le chercheur pour faire le point sur l’enquête.

Quel est le profil des assaillants ?

On n’a pas encore toutes les informations sur ce groupe mais le noyau dur, ce sont les jeunes de Ripoll, et notamment les Oukabir (même si la relation n’est pas encore tout à fait établie entre les frères). Les profils sont parfaitement typiques. C’est-à-dire que ce sont des jeunes de seconde génération (même ceux qui sont nés au Maroc sont arrivés très jeunes en Espagne) parfaitement intégrés qui parlent catalan et espagnol… Certains ont apparemment eu des affaires de petite délinquance. Dans la famille Oukabir, le père est parti, ce qui donne aussi une dimension générationnelle, avec deux frères radicalisés ensemble et le père absent.

Il y a une mosquée locale, mais le rôle qu’elle a pu jouer n’est pas clair. On ne connaît pas d’autre formation religieuse à ces jeunes – et puis de toute façon, Moussa Oukabir, du haut de ses 17 ans, n’avait pas vraiment eu le temps de se former religieusement. Ils ne présentent aucun signe de radicalisation, ni de pratique religieuse intense, ont une vie de jeunes tout à fait normale.

C’est typiquement ce que j’appelle l’islamisation de la radicalité : des jeunes qui passent à l’islam en même temps qu’ils passent à la violence, sans passer par la phase salafiste.

Il y a une vraie "déculturation du religieux", ils ne sont pas intégrés dans une communauté religieuse musulmane. La radicalisation a lieu dans le cadre de la bande de copains, d’un petit groupe qui échappe aux radars. Si les deux frères sont bien complices, la dimension de fraternité est également présente. Elle est extrêmement importante, comme on a pu le voir dans les événements qui ont eu lieu en France.

Que penser de leur confrontation avec la police à Cambrils ?

Ces jeunes y vont pour mourir. Certes, celui qui a fait l’attentat de Barcelone semble s’être échappé, probablement parce qu’il compte faire autre chose. Sur les vidéos de la fusillade de Cambrils, l’assaillant se moque de la police alors qu’elle lui tire dessus. Il ne cherche ni à fuir ni à riposter, alors qu’il était probablement armé. Il portait une ceinture d’explosifs vide. S’il avait pu, je pense qu’il se serait muni d’une vraie ceinture. Manifestement, dans la préparation de l’attentat, il y a eu des ratés, avec l’explosion de leur planque. Mais ils décident d’y aller quand même, et de foncer : ils savaient très bien qu’ils ne rentreraient pas de cette mission-là.

Attentat de Barcelone : "Le but est de faire le plus de victimes et de radicaliser l’opinion"On a toutes les caractéristiques classiques. Avec tout de même quelque chose qui devient frappant, surtout si l’histoire de Turku, en Finlande, se confirme : l’identité marocaine des assaillants. Que ce soit le cas en Espagne n’est pas si surprenant, la majorité des musulmans espagnols étant d’origine marocaine. Mais il y a également des Marocains (et des Tunisiens) qui ont agi en Grande-Bretagne, ils sont aussi impliqués en Allemagne, aux Pays-Bas, au Danemark et maintenant en Finlande.

Il y a une surreprésentation des Marocains et des Tunisiens dans le terrorisme islamique européen. Cela ne colle pas du tout avec la démographie de l’immigration. Par exemple, il n’y a quasiment pas de Turcs, ni d’Algériens, alors que l’Algérie constitue la population la plus importante du Maghreb. On a en fait une radicalisation de l’immigration marocaine, alors qu’il y a très peu de radicalisation au Maroc même (au contraire de la Tunisie, où il y a aussi une radicalisation in situ).

Je relie ce phénomène à ma thèse, qui est que la radicalisation religieuse est une conséquence de la déculturation du religieux. C’est pour cela qu’il y a peu de troisième génération, on a essentiellement, aujourd’hui, des secondes générations ou des nomades (comme le Libyen de Manchester ou le Marocain de Londres).

Qu’est-ce que cette déculturation du religieux, et pourquoi expliquerait-elle la radicalisation ?
Une communauté de foi n’est insérée socialement que si elle partage une culture commune avec les non-croyants (par exemple sur les valeurs).

Or, on constate que depuis les années 1960, les différentes religions se sentent de plus en plus coupées de la société, ignorées, attaquées par le sécularisme dominant. C’est très clair avec l’Eglise catholique. Le divorce a été clairement énoncé par l’Eglise depuis l’encyclique Humanae vitae de Paul VI condamnant la contraception et conceptualisé par Benoît XVI. Selon cette pensée, la culture européenne dominante serait désormais une culture de mort. La réponse de l’Eglise catholique est d’essayer de rechristianiser la culture européenne. La Manif pour tous est bien l’expression de ce décalage maintenant complet entre culture dominante et communauté de foi. Je ne dis évidemment pas qu’il s’agit de terroristes, mais il y a une tension dans la relation religion/laïcité, indépendamment de l’islam.

Cette tension s’était largement apaisée depuis la Première Guerre mondiale, mais on la retrouve aujourd’hui. C’est moins violent avec l’Eglise catholique, parce que les chrétiens essaient de défendre une culture européenne traditionnelle. Mais dans les autres religions, cela marche moins bien, parce qu’il y a une tension encore plus grande entre la religion et la culture : le salafisme, loin d’être l’expression de l’islam traditionnel, est en guerre contre les cultures musulmanes.

La montée de ce "pur religieux" provoque une tension. On le voit également aux Etats-Unis. Cette tension entre communautés de foi et culture dominante et séculière est tout aussi forte dans le monde musulman, contrairement à ce qu’on peut penser. Il suffit d’écouter un salafiste égyptien, tunisien ou marocain : ils expliquent que la culture dominante dans leur pays est devenue soit occidentalisée, soit sécularisée, ce qui est la même chose selon eux.

Quelles sont les conséquences d’une telle tension ?

Cela ouvre la porte à des revendications religieuses exacerbées, qui s’expriment sur trois registres. Le premier, c’est la reconquête. C’est la stratégie de l’Eglise catholique : tenter de faire voter des lois ou s’y opposer, comme pour l’avortement, le mariage gay ou sur la question de l’enseignement scolaire. C’est aussi la position des Frères musulmans, des salafistes modérés, des chrétiens évangéliques : il faut reprendre la main sur le culturel. Une autre formule est le retrait, le ghetto. C’est ce que font les nouvelles vocations monastiques ou les Loubavitches : on vit sa foi à côté de la société.

Et puis il y a le radicalisme, le djihadisme : il faut tuer les infidèles. C’est propre à l’islam, non pas parce que le djihad est dans le Coran, mais parce qu’il y a une radicalisation politique dans le monde musulman qui offre un horizon nouveau à cette radicalisation religieuse. Dans ce contexte-là, tous ceux qui ne sont pas membres de la secte sont des ennemis. Une erreur d’interprétation est faite par la majorité des observateurs, qui voient les jeunes radicaux comme l’avant-garde du malaise de la communauté musulmane. Pour moi, ce n’est pas correct, ces jeunes ne sont pas du tout intégrés dans les communautés musulmanes existantes.

Tous les journalistes qui vont, après un attentat, interroger l’entourage des terroristes, racontent la même histoire (comme "la Stampa", par exemple, qui est allée à Ripoll enquêter sur Moussa Oukabir) : Personne ne se doutait de quelque chose, les terroristes vivaient comme tous les jeunes de leur âge. En fait, les radicaux ne sont presque jamais des activistes religieux, sociaux ou politiques. Aucun d’entre eux ne milite dans une association caritative, dans une ONG, dans une mosquée, n’a manifesté pour la Palestine… On a vraiment affaire à des marginaux. Pas forcément au sens économique et social. Ce sont des gens qui se radicalisent en dehors de la communauté musulmane, dans le cadre d’un petit groupe de frangins, cousins et copains.

C’est un trait général de la radicalisation, qui est également visible dans l’extrême droite américaine. Après Charlottesville, on a vu la pratique de "l’outing" – que je n’approuve pas – se développer : publier sur les réseaux sociaux des photos des néonazis, ce qui a entraîné le licenciement de certains d’entre eux. Ce qui veut dire que localement, les gens ne savaient pas qu’ils étaient des militants nazis. Parce qu’ils militent sur internet, ou dans ce type de manifestations, où ils sont "entre potes". Il y a là une dimension sectaire très importante dans la radicalisation aujourd’hui.

L’extrême gauche est encore dans les mouvements sociaux, avec Nuit debout, etc. Mais ça ne décolle pas, ça s’arrête au bout de quelques semaines. La forme la plus contemporaine de la radicalisation, c’est la bande de copains qui s’autoradicalise, avec un très grand rôle d’internet et un passage à l’acte rapide.

Les attaques de Barcelone et de Cambrils étaient manifestement préparées. Comment se différencient-elles de l’attentat de Nice par exemple ?

En effet, ceux qui ont agi en Espagne ne sont pas des loups solitaires. Manifestement, il y a une connexion avec Daech. Comme ceux du Bataclan, ils ont préparé leurs actes plusieurs mois à l’avance, ils s’appuient sur une cellule djihadiste qui a toujours un lien physique avec Al-Qaida autrefois, et Daech maintenant. Il y a des agents de liaison, un donneur d’ordre, qui sera retrouvé tôt ou tard. A côté de ça, il y a les loosers, les isolés, ceux qui passent à l’acte soudainement, sans que leur degré de connexion avec Daech soit très clair.

Double attentat de Barcelone et Cambrils : "Nous pouvons dire que cette cellule djihadiste est démantelée"On a donc ces deux phénomènes d’autoradicalisation et de connexion avec Daech, qui a revendiqué ces attentats selon sa stratégie habituelle. Mais il ne faut pas s’imaginer que ces individus ont été recrutés par Daech. L’erreur, c’est de croire que Daech envoie des recruteurs qui ont réussi à convaincre des personnes qui n’y pensaient pas. Ceux qui sont passés à l’acte veulent de l’action, ce sont eux qui cherchent et trouvent Daech.

Il y a donc deux types d’attaques aujourd’hui. D’une part, le Bataclan, Londres il y a dix ans, Barcelone aujourd’hui, avec une cellule qui a préparé son coup. De l’autre, les improvisations, les revendications après coup, les individus dont on ne sait pas s’il s’agit de loups solitaires ou de cellules dormantes. Même si on retrouve un mode opératoire similaire, en l’occurrence la voiture-bélier, les terroristes de cette semaine avaient visiblement autre chose en tête : des attentats-suicides à l’explosif, qu’ils n’ont pas pu commettre.

Propos recueillis par Martin Lavielle

Source: nouvelobs.com

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