07/11/2015

La pensée verte des pays nordiques, pionniers européens de la transition énergétique


LE MONDE ECONOMIE | 03.10.2015 à 10h55 • Mis à jour le 03.10.2015 à 13h24 | Par Marie

Le Danemark est le pionnier de l’éolien offshore. LARS SKAANING / AP

Entrepôts en ruines, sols contaminés, docks battus par les vents marins. A la fin des années 1990, Västra Hamnen, le quartier du « port ouest » de Malmö, petite ville au sud de la Suède, était en plein déclin industriel. Déserté par les chantiers navals de Kockums, puis par les usines automobiles de Saab, l’endroit faisait fuir les Suédois eux-mêmes.
Vingt ans plus tard, Västra Hamnen est à peine reconnaissable. Un quartier 100 % énergies renouvelables, prisé par de jeunes cadres travaillant dans les nouvelles technologies, a remplacé les vieux bâtiments industriels. Les 5 000 habitants s’éclairent grâce aux panneaux solaires installés sur les toits et à une éolienne située à quelques kilomètres de là. Récupérés par un système pneumatique, les déchets organiques sont transformés en biogaz qui alimente les 200 bus de la ville. Et l’eau chaude accumulée en été est stockée dans le sous-sol pour être utilisée en hiver. « Västra Hamnen est notre laboratoire : en 2030, toute la ville fonctionnera aux énergies renouvelables », explique Daniel Skog, de la mairie de Malmö.
Des projets comme celui-ci, on en compte des centaines dans les pays nordiques (Finlande, Suède, Norvège, Danemark et Islande), fer de lance de la transition énergétique. Une expérience qu’ils comptent bien mettre en avant lors du salon World Efficiency, qui présentera les innovations mondiales en matière de technologies vertes à Paris (du 13 au 15 octobre). Et surtout, lors de la COP21, la conférence de Paris sur le climat, du 30 novembre au 11 décembre.
L’Islande, championne mondiale de la géothermie
De fait, les pays nordiques ont une longueur d’avance. En moyenne, 67 % de l’électricité nordique provient de sources renouvelables, contre 30 % dans le reste de l’Union européenne. L’Islande, qui se chauffait uniquement au charbon il y a cinquante ans, est aujourd’hui la championne mondiale de la géothermie tandis que le Danemark, avec ses 5 000 turbines, est le pionnier de l’éolien offshore. Le géant pétrolier norvégien tire 98 % de son électricité de centrales hydroélectriques et la Suède a réduit de moitié sa consommation de pétrole en moins de quarante ans. La Finlande, enfin, produit 16 % de son électricité grâce à la biomasse.
Lire aussi : L’Islande veut être « un guide et un modèle » dans la géothermie
Pas étonnant, dès lors, que ces pays se montrent plus ambitieux que leurs voisins pour les années à venir. Alors que l’Union européenne cible d’utiliser 20 % d’énergie provenant de sources renouvelables en 2020, la Suède, qui a déjà atteint le seuil des 50 %, espère éliminer totalement l’énergie fossile des transports routiers d’ici à 2030. La Norvège, elle, projette d’être sobre en carbone en 2050, tandis que le Danemark promet d’utiliser 100 % d’énergies renouvelables d’ici là.
Pour atteindre ces objectifs, les contrées nordiques comptent combiner croissance forte et transition énergétique. « L’un ne va pas sans l’autre, notre expérience des vingt dernières années le prouve », explique Outi Leskelä, coordinatrice du groupe de travail nordique des négociations pour le climat. De fait, le PIB de la région a en moyenne gonflé de 45 % depuis 1995, tandis que les émissions de CO2 ont baissé de 17 %. « Nous sommes riches parce que nous pensons vert », résume Torben Gleesborg, chef du département environnement de la ville de Copenhague.
Le consensus à la scandinave
Et pour cause. Depuis le choc pétrolier de 1973, ces Etats ont bâti toute leur stratégie économique autour de la quête d’efficacité énergétique. Plusieurs chantiers ont été menés en parallèle et planifiés à l’avance : amélioration des procédés industriels, rénovation des habitations, nouvelles normes, développement des sources alternatives d’énergie… « Nos entreprises ont vite compris qu’en s’y mettant, elles pourraient exporter leur savoir-faire à l’étranger », souligne Dagfinn Høybråten, le secrétaire général du conseil des ministres nordiques. Le secteur des technologies environnementales pèse ainsi 4,2 milliards d’euros à l’export en Suède, et 9,6 milliards d’euros au Danemark.
Ce « succès vert » repose en grande partie sur les ingrédients du fameux modèle scandinave : un cocktail de pragmatisme, consensus et soutien à l’innovation, combiné à un pilotage intelligent de l’Etat-providence. Depuis les années 1970, et malgré la crise économique que certains ont traversée au début des années 1990, les gouvernements successifs n’ont jamais relâché leurs efforts. La taxe carbone (120 euros par tonne de CO2 aujourd’hui) a ainsi été instaurée en 1991 en Suède, et a encouragé le basculement du chauffage au fioul vers l’utilisation de la biomasse. « Pour que cela fonctionne, la stabilité politique est essentielle : si la fiscalité et les objectifs changent à chaque élection, impossible de planifier les investissements de long terme indispensables à la transition énergétiques », explique Jørgen Abildgaard, chef de projet climat pour Copenhague.
Le consensus à la scandinave s’illustre également au niveau local. A chaque nouveau projet, tous les acteurs concernés s’installent autour de la table pour phosphorer. Après les terribles inondations de l’été 2011, Copenhague a réuni entreprises, assureurs, habitants et architectes afin de mettre sur pied un plan d’adaptation au changement climatique économiquement viable. Des projets pilotes ont ensuite été lancés dans toute la ville. Le square de Taasinge, dans le quartier de Østerbro, a ainsi été reconverti en espace vert capable de stocker puis rediriger les pluies surabondantes vers la mer par un système de canaux. « Le réaménagement de la ville coûtera 11 millions de couronnes danoises [1,5 million d’euros], mais devrait nous épargner 16 millions [2,15 millions d’euros] de dégâts futurs », explique M. Gleesborg.
Transition écologique rime avec déconcentration
Pour Copenhague, Oslo et Stockholm, transition écologique rime également avec déconcentration. « Après le choc pétrolier, nous avons réalisé qu’il est crucial de rapprocher la production d’énergie du consommateur », explique Anders Hasselager, de l’agence danoise de l’énergie. La quinzaine de centrales que comptait le pays ont alors été remplacées par 680 centrales locales produisant à la fois chauffage et électricité.
En parallèle, le pays a développé un parc d’éoliennes offshore. Lorsque la production produite dépasse les besoins, l’électricité est revendue à la Norvège ou à la Suède grâce au réseau électrique commun aux pays du nord de l’Europe. Quand elle est insuffisante, le Danemark en importe. « Les énergies renouvelables sont par définition intermittentes : cela exige flexibilité et interconnexion entre nos pays », explique Anette Persson, de l’agence suédoise de l’énergie.
Ces évolutions ont bien sûr un prix. Si elles sont à long terme génératrices d’économies et d’emplois, le développement des énergies renouvelables coûte, à court terme, 5 % à 23 % plus cher que l’utilisation des carburants fossiles. « Cela exige que la société et les citoyens soient prêts à accepter cette dépense supplémentaire », explique M. Høybråten. Certes, les Scandinaves affichent un consentement à l’impôt élevé. Mais comme partout ailleurs, les habitudes ont la vie dure. Surtout en matière de carburant.
Généreux ensemble d’incitations en Norvège
La Norvège l’a bien compris. Pour développer l’usage du véhicule électrique, elle a mis en place, dès les années 1990, un généreux ensemble d’incitations : exemption de la TVA (25 %) et de la taxe d’enregistrement pour l’achat d’un tel véhicule, parking gratuit à Oslo, autorisation d’emprunter les voies de bus, réductions aux péages… Résultat : le pays est aujourd’hui le champion de la voiture électrique, qui pèse aujourd’hui 17,5 % des ventes dans le pays, et 63 % dans la capitale. Partout, dans les rues d’Oslo, on aperçoit des Tesla, Renault Zoé ou Nissan Leaf parquées à l’une des 700 bornes de rechargement mises à disposition.
Dans les pays voisins, où les incitations ont été moins généreuses, les ventes n’ont en revanche guère décollé. Le gouvernement danois songe même à supprimer les quelques aides existantes. « Cela prouve que nous avons encore de nombreux défis à relever en la matière », constate Marianne Karlsen, conseillère au ministère de l’environnement norvégien.
D’autant que dans les années à venir, la conjoncture nordique s’annonce délicate. Pénalisée par la fonte de son industrie électronique, la Finlande, en plein marasme, vient d’opter pour la construction d’un sixième réacteur nucléaire, malgré son soutien aux technologies vertes. Pour faire face à la chute des cours du pétrole et à la baisse programmée de ses réserves, la Norvège doit rapidement diversifier son économie, trop dépendante des exportations d’hydrocarbures (20 % du PIB). « Aucune transition ne se fait sans douleur », conclut Mme Karlsen. L’essentiel reste, selon elle, de garder le cap : « Penser vert », quoi qu’il arrive…

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